La naissance du prophète
Les mois de grossesse de Dame Amina s'écoulèrent dans la lenteur et la tristesse. Quand l'heure de l'accouchement arriva, elle mit au monde le Prophète, dans la maison de son grand-père, 'Abd Al-Muttalib, qui était alors assis auprès de la Ka'bah. Lorsque la nouvelle lui parvint, il accourut vers sa demeure, comblé de bonheur et de joie. Il porta le nouveau-né dans ses bras et vit en lui une consolation après la perte de son fils. Il porta l'enfant vers la Ka'bah, fit des circumambulations autour de la Maison Sacrée, puis l'appela Muhammad, un nom peu connu des Arabes. Lorsqu'on l'interrogea sur son choix, il dit : «J'ai voulu qu'il soit loué au ciel, auprès de Dieu, et sur terre, auprès des hommes».
Chez les Arabes, les notables avaient coutume de confier leurs enfants à des nourrices. Ainsi, Âminah attendit l'arrivée des nourrices de la tribu de Banû Sa'd Ibn Bakr, tribu connue pour ce métier, et confia entretemps son enfant à Thuwaybah, la servante de l'oncle du Prophète, Abou Lahab, pour l'allaiter. Thuwaybah avait aussi allaité Hamzah Ibn Abd Al-Muttalib qui devint ainsi un frère de lait pour le Prophète.
Puis, les nourrices arrivèrent et parmi elles il y avait Halîmah As-Saadiyyah, accompagnée de son mari Al-Hârith Ibn 'Abd Al-Uzzâ et de son nourrisson. La faiblesse et la pauvreté se voyaient sur Halîmah, si bien qu'aucune mère ne la choisit pour s'occuper de son enfant. Par ailleurs, aucune nourrice ne souhaita prendre le fils de Âminah, car il était orphelin et, dans ce métier, on espérait une généreuse récompense du père. Il était ainsi sans nourrice et elle sans nourrisson. Ne voulant pas rentrer les mains vides, Halîmah décida de prendre ce bébé orphelin.
Puis, Halîmah quitta la Mecque pour retourner chez elle, portant cet orphelin qu'elle fut obligée de prendre. Elle ne savait pas qu'elle portait l'être le plus cher, le suzerain des créatures, et la Miséricorde de Dieu pour l'univers. Mais les signes de la bénédiction ne tardèrent pas à se manifester chez la nourrice. L'ânesse qui, jusque-là, était faible, avançait maintenant d'un pas énergique et rapide ; la chamelle qui était fragile vit son pis s'emplir ; et le bébé de Halîmah cessa de pleurer car son lait allait désormais être abondant et le rassasier. Les amies de Halîmah ne cessèrent de s'étonner de cette prospérité soudaine : « Est-ce bien cette ânesse sur laquelle elle était venue ? Est-ce là la chamelle avec laquelle elle était arrivée ?! « Sans doute qu'il y avait quelque chose derrière cela. Halîmah et son mari eurent alors la certitude que cet orphelin était d'une grande importance. Leurs cœurs s'attachèrent à lui et ils lui accordèrent davantage de soins.
Le cortège béni arriva dans les territoires de Banou Saad Ibn Bakr où la nature était restée vierge et où la langue arabe était parlée avec éloquence et perfection. La bénédiction s'installa dans le foyer de Halîmah. Ses brebis sortaient paître et revenaient avec des pis emplis de lait et des panses bien rassasiées. Chacun emmenait son troupeau pour paître là où Halîmah envoyait ses moutons, mais nul ne repartait avec la même aisance. Le cœur de Halîmah ne cessa de s'attacher à cet orphelin béni et le combla de sa tendresse. Sa fille, Ash-Shaymâ', prit soin de lui et l'aima comme elle aimait son frère, Abdallah, qui partageait avec lui le lait de sa mère.
Les jours s'écoulèrent et le moment du sevrage arriva avec, en perspective, le devoir de retourner le dépôt. Halîmah se dirigea vers la Mecque, d'un pas lourd et hésitant. Combien il lui était difficile de se séparer de son enfant de lait. Dame Âminah vit que son fils était en bonne santé et semblait en pleine forme, mais elle fut surprise par l'insistance de Halîmah pour le ramener avec elle ; une insistance qui ne laissa presque pas de choix à la mère. Comblée de joie, Halîmah retourna chez elle, accompagnée de cet enfant cher et béni à qui elle continua à accorder tous ses soins. Les jours passèrent, heureux et rayonnants par les bénédictions qui se déversaient sur cette famille. Puis, un jour, Halîmah fut bouleversée en voyant son fils Abdallah accourir vers elle et s'écrier : « Maman ! Sauve mon frère qurayshite ! Deux hommes vêtus de blanc sont venus, l'ont allongé par terre et lui ont fendu la poitrine. Ils en ont sorti quelque chose
qu'ils ont jeté loin d'eux».
En Compagnie de l'Élu
Abd Al-Muttalib se réjouit du retour de son petit-fils et l'entoura d'amour et de tendresse. Lorsqu'il s'asseyait à l'ombre de la Kaabah, il l'asseyait à côté de lui sur son tapis, tandis que ses propres enfants s'asseyaient autour du tapis par égard envers leur père, l'homme fort de Quraysh, voire de La Mecque toute entière.
Mais cette situation ne dura pas longtemps. Dame Amina décida en effet de partir pour Yathrib afin que son fils rende visite à la tombe de son père et fasse la connaissance de ses arrières grands-oncles maternels, de la tribu des Banû An-Najjâr. Elle emmena avec elle Oum Ayman, Barakah Al-Habashiyyah de son vrai nom, une servante noire abyssine léguée par son défunt mari 'Abd Allâh. Amina resta un mois à Yathrib. Entre larmes et gémissements, elle parlait à son fils de son père qui n'avait passé que très peu de temps avec elle avant de se rendre dans cette ville où il avait rendez-vous avec son destin fatal. Puis Amina décida de retourner à la Mecque. Lorsque son convoi atteignit Al-Abwâ, Amina tomba gravement malade et décéda. Elle fut enterrée sur place. Umm Ayman ramena alors à la Mecque cet enfant doublement orphelin, triste et esseulé, après que sa mère soit partie rejoindre un père qu'il n'avait jamais connu. Ainsi se terminait le voyage de cet enfant, âgé de six ans ; son grand-père 'Abd Al-Muttalib le prit alors en charge et l'entoura de ses soins. Il demeura ainsi à la garde de Umm Ayman jusqu'à l'âge de huit ans. Puis il fut surpris par le décès de ce grand-père au cœur tendre qui essayait de lui faire oublier l'absence de son père. Et voici ce jeune garçon marchant tristement derrière le cercueil de son grand-père et se demandant ce que l'avenir lui réservait.
Le parrainage de son oncle
La mort de Abd Al-Muttalib fut un coup dur aussi bien pour les Banou Hachim, pour Quraysh que pour les Mecquois en général. C'était un homme avisé, sage, déterminé, vertueux et doté de bonnes manières, sans compter qu'il pourvoyait aux besoins des pélerins en nourriture et en eau, qu'il faisait preuve de bienfaisance envers les Mecquois en résolvant leurs problèmes, qu'il prenait la défense des opprimés et qu'il soutenait les pauvres et les faibles. Bref, il jouissait auprès des Mecquois d'un prestige que nul parmi ses enfants n'égalera... soit parce que les pauvres d'entre eux étaient incapables de poursuivre son œuvre, comme c'était le cas de son fils aîné Al-Hârith, soit parce que les riches parmi eux étaient soucieux de conserver leur fortune, à l'instar d'Al-'Abbâs, qui prit en charge la pourvoyance en eau des pèlerins mais pas leur pourvoyance en nourriture. Le plus noble, le plus généreux et le plus populaire dans Quraysh parmi ses enfants était Abou Tâlib. C'est pourquoi 'Abd Al-Muttalib lui confia son neveu sur son lit de mort. Abû Tâlib s'acquitta de ce devoir de la meilleure des manières. Il réserva à son neveu un amour immense si bien qu'il lui donnait la priorité sur ses propres enfants, notamment lorsqu'il constata sa noblesse de caractère, sa bonté et sa douceur. Les liens entre l'oncle et son neveu ne cessèrent de se renforcer de jour en jour. Lorsque Abou Tâlib décida de se rendre en Syrie pour un voyage d'affaires, son neveu insista pour l'accompagner. Abou Tâlib voulut lui épargner les difficultés du voyage et la chaleur du désert, étant donné qu'il n'était âgé que de douze ans. Mais, devant son insistance, il consentit à l'emmener avec lui. La caravane se mit en route et arriva à la ville de Bosra, au sud de la Syrie. Ils y croisèrent un moine, nommé Bahîrâ, qui, voyant l'enfant en compagnie de son oncle, s'enquit à son sujet. Lorsqu'il sut qu'il était orphelin de ses deux parents, et ayant décelé en lui d'autres caractéristiques consignées dans la littérature religieuse, il conseilla à l'oncle de rebrousser chemin et de faire en sorte que les Juifs ne voient pas l'enfant. Il ne dit pas un mot de plus.
Abou Tâlib s'en retourna donc à La Mecque sans récolter beaucoup d'argent de ce voyage, et ne renouvela plus cette entreprise. Il demeura à La Mecque, assumant, avec ses modestes moyens, ses enfants et son neveu. Ce dernier commença sa carrière de berger pour le compte de ses proches et des habitants de la Mecque, afin d'épargner à son oncle la charge de l'entretenir. À l'heure où les jeunes gens de son âge mordaient dans les plaisirs de la vie à pleines dents sans aucune restriction - d'autant plus que le vin, les jeux de hasard et la fornication se pratiquaient couramment à le Mecque et qu'il suffisait, selon les Mecquois, de tourner autour de la Ka'bah et de faire quelque offrande à leurs idoles afin qu'elles intercèdent en leur faveur auprès de leur Seigneur -, Muhammad était attaché à la chasteté et à la vertu et ne s'associait à eux ni dans leurs amusements, ni dans leur adoration des idoles. Sa véridicité et sa loyauté étaient telles que les Mecquois le surnommèrent « As-Sâdiq Al-Amîn « c'est-à-dire « le Véridique et le Loyal «. Ainsi fut-il destiné à garder les troupeaux comme le firent naguère les Prophètes qui l'avaient précédé... Il ne fait point de doute que ce métier développe le sens de la prudence, de l'observation et de la tendresse, car les moutons sont des animaux très dociles, incapables de se protéger eux-mêmes, qui n'agressent aucune autre bête. De plus, les sorties dans des endroits isolés et spacieux incitent à la réflexion et à la méditation sur cet univers immense et sur les signes qu'il recèle, reflétant la sagesse et la parfaite gérance d'un Être Omniscient et Parfait Connaisseur.
Dame Khadîdja faisait partie de la noblesse de Quraysh. Elle avait une grande fortune et employait des hommes pour emmener ses caravanes de commerce en Syrie. Aussi Abou Tâlib alla-t-il lui proposer les services de son neveu, ce qu'elle s'empressa d'accepter eu égard à la réputation qu'il s'était forgé pour ses qualités d'honnêteté, de loyauté et de grande moralité. Elle proposa même de lui doubler le salaire qu'elle avait l'habitude de verser à ses employés. Âgé de vingt-trois ans, il partit à la tête de la caravane en compagnie de Maysarah, le serviteur de Khadîdja, qui observait attentivement les gestes et le comportement du Loyal tout au long du voyage.
Dieu bénit le voyage entrepris par cette caravane si bien qu'elle réalisa des bénéfices records.
Dame Khadîdja s'enquit auprès de son serviteur Maysarah sur le déroulement du voyage. Le récit de ce dernier fit que Dame Khadîdja s'attacha énormément à ce jeune homme probe, dont La Mecque n'avait jamais connu personne de semblable en termes d'honnêteté, de loyauté, de moralité, de modestie, de chasteté et d'aménité. Abou Tâlib devina son attachement à son neveu lorsqu'il lui rendit visite pour recueillir son sentiment sur le voyage et sur les bénéfices réalisés. C'est pourquoi il lui proposa d'épouser son neveu, ce qu'elle accepta sur-le-champ, au grand bonheur de Abou Tâlib.
Le mariage eut donc lieu après l'approbation des oncles des deux mariés. Le nouveau couple réunissait désormais l'homme surnommé le Loyal et la femme surnommée la Pure. Bien qu'elle était son aînée de quinze ans, elle fut son unique épouse jusqu'à la fin de ses jours.
Elle jouit ainsi de cette exclusivité tout au long de sa vie ; elle ne partagea son époux avec aucune autre femme, épouse ou esclave, et ce, bien que la polygamie était répandue de manière illimitée dans la société mecquoise, bien que les femmes esclaves étaient monnaie courante et bien que l'adultère était on ne peut plus banal. Cette union fut couronnée par la naissance de deux garçons, Al-Qâsim et Abdallah (surnommé aussi At-Tayyib et At-Tâhir) qui moururent tous deux en bas âge avant l'avènement de la mission prophétique, et de quatre filles, Zaynab, Ruqayyah, Oum Kulthûm et Fatima, qui connurent l'islam, l'embrassèrent et émigrèrent à Médine.
Il ne fait point de doute que la mort des deux garçons en bas âge eut un impact sur la vie paisible et heureuse des deux époux, notamment à cause de l'importance que revêtaient à cette époque les enfants mâles par rapport aux filles, que les Arabes avaient pris l'habitude d'enterrer vives dès leur naissance par crainte de la pauvreté ou du déshonneur. Cela pourrait expliquer pourquoi le Prophète décida d'acheter Zayd Ibn Hârithah lorsqu'il le vit, jeune garçon, en vente à La Mecque, puis pourquoi il s'attacha à lui au point de l'adopter et de lui donner son nom, en l'appelant Zayd fils de Muhammad, et ce avant l'abolition de l'adoption par l'Islam.
Les jours passaient tandis que les habitants de la Mecque considéraient le Prophète — paix et bénédictions sur lui — avec respect et déférence, bien qu'il restait à l'écart de leurs divertissements et de leurs idoles, et qu'il était d'un naturel sérieux. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — était souvent silencieux, parlait peu et faisait preuve d'une grande modestie. Il écoutait attentivement quiconque lui adressait la parole en se tournant de tout son corps face à son interlocuteur. Il souriait à tous ceux qui croisaient son chemin.
À cette époque, Halîmah As-Sa'diyyah vint se plaindre de difficultés matérielles qu'elle traversait. Il lui réserva le meilleur accueil et se montra généreux avec elle, si bien que lorsqu'elle partit, elle emportait avec elle de nombreux cadeaux.