Le début de la révélation
Le Prophète prit soin de marier ses filles. Il maria Zaynab à Abou Al-Âs Ibn Al-Mughîrah, le neveu de Dame Khadîjah. Il maria Ruqayyah et Oum Kulthûm à ses cousins Otbah et Otaybah respectivement; ils étaient les enfants de son oncle Abou Lahab qui, après l'avènement de l'apostolat du Prophète, commanda à ses fils de répudier leurs épouses. Plus tard, Othmân Ibn Affân les épousa l'une après l'autre comme nous le verrons ultérieurement.
Fatima, quant à elle, n'était pas encore nubile. Il ne la maria qu'après l'hégire à Ali Ibn Abî Tâlib.Le Prophètevécut des jours agréables en compagnie de son épouse qui l'entourait de ses soins, de sa tendresse et de son amour, ce qui l'aida à supporter l'épreuve de la mort de ses deux enfants Al-Qâsim et Abdallah. Puis, il fut captivé par les retraites spirituelles. Il choisit pour ses retraites la grotte de Hirâ qui se situait à l'extérieur de la Mecque au-dessus du Mont Hirâ. Il s'y rendait régulièrement pour y passer quelques jours, emmenant avec lui les provisions que Dame Khadija lui préparait pour son séjour. Loin du tumulte de la Mecque et des événements qui y survenaient, il réfléchissait à l'égarement de son peuple et méditait sur la nature qui l'entourait, les montagnes, les vallées, le ciel, les planètes, les étoiles, à la recherche de la vérité et de la guidance...
Plus tard, il se mit à avoir des songes véridiques qui ne tardaient pas à se réaliser. Cette situation dura six mois, tandis que le Prophète était sur le point d'avoir ses quarante ans. Puis, au cours d'une nuit du mois de Ramadân, alors qu'il était en prière dans la grotte, il fut surpris par l'Esprit Saint qui se présenta à lui dans l'apparence d'un homme et lui ordonna: «Lis !» Le Prophète lui dit : «Je ne sais pas lire» L'ange le prit dans ses bras et le serra avec force, puis lui ordonna : «Lis !» Le Prophète lui dit: «Je ne sais pas lire» Alors, l'ange le serra vigoureusement dans ses bras avant de lui commander de nouveau : «Lis !» Le Prophète, épuisé par ces étreintes vigoureuses qui faillirent lui briser les côtes, lui répondit : « Que dois-je lire ?» L'ange lui dit : «Lis, au nom de ton Seigneur Qui a créé, Qui a créé l'homme d'une adhérence. Lis ! Ton Seigneur est le Très Noble, Qui a enseigné par la plume (le calame), Il a enseigné à l'homme ce qu'il ignorait. » Ses paroles pénétrèrent son cœur — paix et bénédictions sur lui—, l'illuminèrent et lui illuminèrent le monde entier. L'ange s'en alla, le laissant méditer sur la signification de ces paroles : Qui créa l'homme et lui enseigna ce qu'il ignorait ? Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Quel est son but ? Pourquoi lui ? L'inquiétude infiltra son esprit et se transforma en forte anxiété. Il se dépêcha de quitter la grotte apeuré et effrayé. Et voici qu'une voix venue du ciel l'interpella : «Ô Mohamed, tu es le Messager de Dieu et je suis Jibrîl (Gabriel). » Il leva les yeux au ciel et revit l'ange qui s'était présenté à lui dans la grotte dans l'apparence d'un homme. Dans quelque direction qu'il dirigeait son regard, il le voyait devant lui emplissant le ciel, ce qui accentua sa peur.
Il entra chez Dame Khadija tremblant de tout son corps en disant : « Couvrez-moi... Couvrez-moi... » Elle l'enveloppa d'une couverture et le serra contre elle avec tendresse et compassion. Puis, elle s'assit à ses côtés, l'observant avec affection et espoir. Il tremblait de tout son corps pris dans une sueur abondante. Puis il se leva récitant ce que Jibrîl lui inspirait : «Ô, toi ! Le revêtu d'un manteau ! Lève-toi et avertis. Et de ton Seigneur, célèbre la grandeur. Et tes vêtements, purifie-les. Et de tout péché, écarte-toi. Et ne donne pas dans le but de recevoir davantage. Et pour ton Seigneur, endure» Sa compassion pour son époux redoubla jusqu'à ce qu'il lui eut raconté ce qui venait de lui arriver. Puis, il lui dit : «J'ai eu peur pour ma vie» Khadîjah lui dit : « À Dieu ne plaise ! Par Allah, Allah ne t'humiliera jamais. Tu honores tes liens de parenté. Tu soutiens le faible. Tu fais don au démuni. Tu fais preuve d'hospitalité envers tes hôtes. Et tu apportes ton soutien dans les véritables épreuves. » Ayant dit cela, Khadija emmena son époux chez son cousin Waraqah Ibn Nawfal Ibn Asad Ibn Abd Al-Ouzzâ. Ce dernier s'était converti au christianisme du temps de la jâhiliyyah et écrivait des livres dans la langue hébraïque; il écrivait des pans de l'évangile en hébreu, autant que Dieu lui assignait d'écrire.
Lorsque le Prophète reçut le commandement divin de transmettre le Message à ses proches, il invita ses oncles à manger chez lui. Après le repas, il leur parla de l'islam et de la foi au Dieu Unique. Mais, ils ne lui prêtèrent qu'une oreille distraite, pensant qu'il plaisantait. Puis, il les invita de nouveau et leur parla de l'islam et leur annonça qu'il était le Prophète tant attendu. De même, personne n'accepta son appel et son oncle Abû Lahab rentra dans une colère noire, au point d'ordonner à ses fils Outbah et Outaybah de répudier les filles du Messager de Dieu, Ruqayyah et Oum Koulthoum, ce qu'ils firent.
Sur ce, le Prophète n'avait d'autre choix que de prêcher son Message publiquement, obéissant en cela à l'injonction divine : «Expose donc clairement ce qu'on t'a commandé et détourne-toi des associateurs». Du haut de la colline d'As-Safâ, il interpella les Quraysh : «Ô gens de Quraysh ! » Les gens se rassemblèrent. Il leur demanda : «Si je vous disais qu'une cavalerie est en train de traverser la vallée pour vous livrer bataille, me croiriez-vous ? » Il acquiescèrent disant : «Oui, tu as toujours été véridique avec nous. » Il poursuivit : « Alors sachez que j'ai été envoyé pour vous avertir de l'imminence d'un châtiment sévère. » Abou Lahab s'exclama : « Est-ce pour cela que tu nous as rassemblé ? Puisses-tu périr!» Cette prise de position surprenante choqua le Prophète qui pensait que son oncle le croirait et le soutiendrait. Il était en effet l'une des personnes les plus proches de lui et, à ce tite, il connaissait parfaitement son origine, sa lignée et sa véridicité. C'est pourquoi Jibrîl — paix sur lui — apporta la Parole de Dieu : «Que périssent les deux mains d'Abou-Lahab et que lui-même périsse. Sa fortune ne lui sert à rien, ni ce qu'il a acquis. § Il sera brûlé dans un Feu flamboyant». La scène s'arrêta là.
Cependant, le Message est passé et certaines personnes commencèrent à réfléchir et à comparer leur lot d'égarement caractérisé par l'adoration de pierres incapables de leur profiter ou de leur nuire, d'une part, et l'appel visant à la vocation exclusive de l'adoration au Dieu Unique Qui détient tous les pouvoirs, et dont ils admettaient l'existence et le fait qu'Il soit le Créateur de tout ce qui existe. De plus, cet appel leur enjoignait des valeurs nobles telles que : l'entretien des liens de parenté, la véridicité, la restitution des dépôts, la bonté envers les parents, honorer ses promesses, être attentif aux droits du voisinage, tout en leur interdisant les mauvaises manières telles que le mensonge, la fornication, le vol, l'ingratitude envers les mères et l'assassinat des petites filles qu'on avait coutume d'inhumer vivantes...
D'où l'empressement des gens dotés d'une raison clairvoyante, et d'une nature saine, à embrasser l'islam. Ceci ne manqua pas de susciter la colère des Quraysh et leur peur pour leur pouvoir et leurs intérêts commerciaux. En effet, l'islam proclamait notamment l'égalité des droits et des devoirs, que les esclaves avaient les mêmes droits que les maîtres, que tout le monde descendait d'Adam et qu'Adam n'était que poussière... Cet appel poussa de nombreux esclaves, hommes et femmes, à embrasser l'islam et de le dire haut et fort. Cette vague de rébellion et d'insoumission commença à se répandre, non seulement parmi les jeunes générations qui embrassèrent l'islam sans le consentement de leurs parents restés fidèles à leur mécréance, mais aussi dans les rangs des esclaves, des deux sexes, qui goûtaient à la liberté pour la première fois et au principe selon lequel tous les êtres humains étaient des serviteurs d'un Dieu Unique.
Les notables de Quraysh se réunirent pour discuter de ce danger imminent qui menaçait à la fois leurs croyances, leurs intérêts et leur pouvoir. Ils devaient décider de la manière de lui barrer le chemin avant qu'il ne prenne des proportions inquiétantes. Ils décidèrent de lutter contre le Prophète — paix et bénédictions sur lui — par la propagande, de manière à le rabaisser et à mettre en doute son statut de Prophète. Ils louèrent les services de quelques poètes qui se chargèrent de le dénigrer, de l'insulter et de railler son message. Mais un groupe de poètes convertis à l'islam se chargèrent de leur répondre. Puis, les chefs de Quraysh firent courir la rumeur qu'il était un devin et qu'il n'allait pas tarder à disparaître comme bien d'autres devins avant lui.
D'autres l'accusèrent de sorcellerie et d'autres enfin dirent qu'il avait été touché par un jinn et que ses adeptes n'allaient pas tarder à revenir à la religion de leurs ancêtres. Puis, ils commencèrent à lui demander d'accomplir des miracles, à l'instar de Moïse et de Jésus. Ainsi exigeait-on de lui de transformer les collines d'As-Safâ et d'Al-Marwah en or, ou de faire jaillir une source, ou de faire descendre du ciel un livre qu'ils puissent voir. D'autres poussèrent la moquerie jusqu'à lui demander le prix des marchandises dans l'avenir afin qu'ils puissent spéculer sur elles ! Tout cela avait cours alors qu'ils adoraient des idoles de pierre ou de bois, qui ne pouvaient leur apporter le moindre bien ni leur infliger le moindre mal, tout en prétendant qu'elles les rapprochaient de Dieu. Il était alors tout à fait naturel que les versets de la révélation critiquent leurs actes et exigent de leur part d'apporter la preuve de la prétendue divinité des idoles qui sont absolument incapables de parler, de voir ou d'ouïr.
Estimant que cela constituait une insulte à leurs divinités, une atteinte au respect qui leur était dû, et une raillerie de la religion de leurs ancêtres, les polythéistes commencèrent à réfléchir sérieusement aux options qu'ils avaient face à cet homme qui s'attirait de plus en plus de fidèles parmi les gens empreints de droiture et de dignité, que ce soit parmi les commerçants et les notables de la Mecque, ou dans les rangs des faibles et des déshérités, tous sexes et tous âges confondus. Ils se demandèrent : Quelle serait la situation si cet homme réussissait à convertir les Mecquois et à les détourner du culte des idoles ? La Mecque ne perdrait-elle pas son rang de capitale religieuse ? Son commerce ne stagnerait-il pas ? Les gens ne cesseraient-ils pas d'offrir des offrandes aux idoles ? Ne se détourneraient-ils pas de leurs assemblées libertines ? Par conséquent, les notables constituèrent une délégation et allèrent se plaindre à son oncle, Abou Tâlib, qui n'avait pas embrassé l'islam, et lui demandèrent de faire en sorte que son neveu cesse d'insulter leurs divinités et qu'il arrête de prêcher son Message et de se prétendre prophète. Ils se rendirent donc auprès d'Abou Tâlib et lui dirent : « Ton neveu a insulté nos idoles, méprisé notre religion, dénigré nos rêves et jugé que nos ancêtres étaient dans l'égarement. Soit tu mets fin à ses offenses, soit tu ne t'interposes plus entre nous et lui. » Abû Tâlib les écouta avec patience et les renvoya avec élégance.
Le Prophète continua à prêcher son message sans se fatiguer ni se lasser. Il donnait à ses adeptes un bel exemple de bonté, de miséricorde et de modestie. Il manifestait de l'affection, de l'aménité et de l'amitié envers les faibles et les indigents. La nuit, il se tenait longuement en prière récitant le Coran qui lui était révélé, et s'adressait à Dieu exclusivement L'invoquant et Le louant, ce qui augmenta la foi et la certitude de ses adeptes et renforça leur adhésion et leur intérêt pour leur religion. Les chefs de la Mecque retournèrent voir Abou Tâlib et lui dirent : « Ô Abou Tâlib. Nous te respectons pour ton âge, ta noblesse et ton rang parmi nous. Mais nous t'avons déjà demandé de contenir ton neveu et de nous en préserver. Soit tu le contiens, soit nous vous mettrons au défi tous les deux jusqu'à ce que l'un des deux camps ait raison de l'autre». Cette histoire pesait beaucoup à Abou Tâlib car, d'une part, il n'approuvait pas ce que faisait son neveu, et, d'autre part, il ne pouvait pas le laisser pour compte. Que pouvait-il faire alors ?
Abou Tâlib demanda au Prophète de venir et lui cita les propos des chefs de la Mecque, puis il lui dit : «Préserve moi et préserve toi, et n'exige pas de ma part plus que ce que je ne puis supporter. » Le Prophète répondit : «Par Allah, s'ils mettaient le soleil dans ma dextre, et la lune dans ma sinistre, en échange de mon abandon de cette affaire, jamais je n'y consentirais jusqu'à ce qu'Allah la fasse éclater au grand jour ou que je périsse sans cela. » Voyant l'attachement de son neveu à sa religion, et qu'il y tenait plus qu'à la vie, et constatant son désintéressement de la fortune de ce bas-monde, Abou Tâlib lui dit : «Va mon neveu, et dis ce qu'il te plaît. Jamais je ne t'abandonnerai à un sort que tu détestes». Ensuite, Abou Tâlib convoqua les Banou Hachim et les Banou Al-Muttalib et les informa de la position des chefs de la Mecque et de la décision de son neveu, et leur demanda de protéger ce dernier, ce qu'ils acceptèrent de faire sauf Abû Lahab qui rallia le camp adverse et s'associa à leurs hostilités envers le Prophète.
Le Prophète trouva en son clan un refuge contre les hostilités de Quraysh. L'affection de Dame Khadîjah, son grand amour pour lui et sa foi en lui étaient un soulagement de la misère due à la dénégation de son message par son peuple.
À cette époque, Omar Ibn Al-Khattâb était un jeune homme vigoureux, dans la force de l'âge. Il avait alors entre trente et trente cinq ans. Fort, au caractère tranchant, il était de nature à verser rapidement dans la colère et se montrait distant à l'égard de l'Islam et des musulmans. À l'opposé, il manifestait bienfaisance et tendresse envers ses proches. Cela étant, il fut ennuyé par l'émigration d'un certain nombre de musulmans vers l'Abyssinie et la protection que Négus leur accordait. Chagriné par leur départ, il lui pesait de les voir quitter leur terre et leurs proches.
Un jour, alors que le Prophète était réuni avec ses compagnons dans quelque demeure, Omar apprit cela et sortit de chez lui, brandissant son épée, porté par la colère et l'ardeur de l'Ignorance. Sur son chemin, il croisa un homme de sa tribu, du nom de Nu'aym Ibn An-Nahâm, qui avait embrassé l'Islam secrètement. Ce dernier s'enquit : « Où vas-tu, Oar ? » Il rétorqua : « Je veux voir Mohamed, celui qui a divisé Quraysh, s'est moqué de ses idéaux, a critiqué sa religion et a injurié ses divinités, pour le tuer. » Nouaym lui répondit : « Par Allah, Omar, tu es tombé sur la tête... Penses-tu que le clan des Banû 'Abd Manâf t'épargnera si jamais tu tues Mohamed ?! Ne retournerais-tu pas plutôt chez toi pour redresser les tiens ? » Et Omar de s'exclamer : « Les miens ? Qu'ont-ils ? » Nouaym dit : «Ta sœur, Fatima Bint Al-Khattâb et son époux, Said Ibn Zayd Ibn Amr ton cousin, par Dieu, tous deux ont embrassé l'Islam et suivi Mohamed dans sa religion. Occupe-toi d'eux plutôt... »
Omar rebroussa chemin et se dirigea vers la maison de sa sœur qui, en compagnie de son époux, recevait Khabbâb Ibn Al-Aratt qui leur faisait réciter la sourate Taha à partir d'un parchemin. Lorsque Omar s'approcha de la maison et qu'ils sentirent sa présence, Khabbâb se trouva une cachette et Fatima s'empressa de cacher le parchemin. Omar entra et, sur un ton inquisiteur, questionna : « Qu'étaient ces murmures que j'ai entendus ? » Elle lui dit que ce n'était rien. Mais Omar insista : « Si ! Par Allah, j'ai appris que vous aviez suivi Muhammad dans sa religion ! » Il s'en prit alors à son cousin Said, mais Fatima s'interposa entre lui et son époux. Omar lui porta un coup qui fit couler le sang de son visage. C'est alors que les deux époux se révoltèrent en avouant : « Oui, nous avons embrassé l'Islam et nous croyons en Dieu et en Son Messager. Agis donc comme bon te semble ! » À la vue du sang de sa sœur, Omar, confus, fut saisi de regret et lui demanda avec douceur : « Donne-moi ce parchemin que vous lisiez, que je vois ce que Muhammad prêche... » Elle lui dit : « Mais nous craignions que tu l'abîmes. » Il jura de le lui rendre. Elle lui dit qu'il était toujours païen et que seuls les gens purifiés étaient en droit de toucher ce parchemin. Omar prit un bain et saisit le parchemin que lui tendit sa sœur.
Il lut le début de la sourate Taha et dit : « Que ces paroles sont belles et nobles ! » Entendant cela, Khabbâb sortit de sa cachette et lui dit : « Par Allah, je souhaite qu'Allah te choisisse pour soutenir le message de Son Prophète, car hier je l'entendis dire : «Ô Allah ! Renforce l'Islam par Abu Al-Hakam Ibn Hishâm ou Omar Ibn Al-Khattâb.» Omar ! Tu t'exposes là à un bienfait immense. » `Umar répondit à Khabbâb : « Dis-moi où trouver Muhammad, afin que j'aille embrasser l'Islam auprès de lui. »
Khabbâb lui indiqua le chemin et Omar pressa son pas, avec un cœur attendri et apaisé, subjugué par la magnificence suprême des versets qu'ils avaient lus, la noblesse du sens qu'ils véhiculent et la grandeur de leur message. Il frappa à la porte de la maison où se trouvait le Prophète. Un homme regarda au travers d'une fente dans la porte et annonça effrayé : «Ô Messager d'Allah, c'est Omar, brandissant son épée ». Hamzah Ibn `Abd Al-Muttalib dit : « S'il est venu à la recherche de quelque bien, nous le lui octroierons volontiers. Mais s'il nous veut du mal, c'est avec son épée que nous le tuerons».
Avec la permission du Prophète, Omar entra et annonça sa conversion à l'Islam. Alors le Prophète et ceux qui étaient en sa compagnie s'écrièrent avec joie « Allâhu Akbar ! ». Omar sortit et rendit sa conversion publique. Il refusa que les musulmans pratiquent secrètement leur religion ou qu'ils se rendent dans les maquis de la Mecque pour accomplir la prière, loin de la persécution infligée par Quraysh. Il s'attela ainsi à la lutte contre Quraysh, si bien qu'il accomplit la prière ouvertement près de la Kaabah et les musulmans purent enfin se joindre à lui.
Constatant la recrudescence des actes de persécution que les Quraysh infligeaient aux musulmans et la multiplication des sévices cruels visant à les détourner de leur religion, le Prophète recommanda à ses disciples d'immigrer en Abyssinie. Cette dernière était en effet une terre de véridicité gouvernée par un roi juste et l'on pouvait espérer qu'Allah les y délivrerait de ce qu'ils avaient enduré jusque-là.
Ainsi un groupe constitué de onze hommes et de quatre femmes partirent secrètement pour l'Abyssinie et jouirent de la paix pendant quelque temps auprès du Négus, le roi chrétien d'Abyssinie. Puis, ils reçurent des échos laissant entendre que les musulmans vivaient désormais en toute tranquillité à la Mecque et décidèrent d'y retourner. Lorsqu'ils s'aperçurent que la vérité était toute autre, ils retournèrent en Abyssinie. Cette fois-ci, ils étaient quatre-vingts hommes ; certains d'entre eux emmenèrent femmes et enfants. Ils demeurèrent en Abyssinie jusqu'à l'immigration du Prophète à Médine où ils le rejoignirent.
Le départ de ce groupe ne manqua pas de susciter la colère des chefs Mecquois qui n'acceptaient pas de voir ces gens échapper à leur pouvoir et à leur emprise. Ils envoyèrent Amr Ibn Al-Âs et Abdallah Ibn Abî Rabî'ah avec de riches présents pour le Négus. Lorsque ce dernier les reçut et accepta leurs présents, ils lui dirent : « Majesté, un groupe de jeunes vauriens d'entre nous se sont réfugiés dans ton pays. Ils ont abandonné la religion de leur peuple et n'ont pas pour autant embrassé ta religion. Ils ont inventé une religion méconnue de nous et de toi. Les notables de leur peuple, à savoir leurs pères, leurs oncles, et leurs clans, nous ont missionnés auprès de toi afin de les récupérer et ils savent mieux que quiconque leurs travers et ce qu'ils ont à leur reprocher. »
Le Négus refusa de prendre une décision avant d'avoir entendu ce que les musulmans avaient à répondre. Il les fit venir et leur demanda : « Quelle est donc cette religion pour laquelle vous avez quitté votre peuple, sans pour autant embrasser ma religion ni l'une des religions de ce pays ? » Jaafar Ibn Abî Tâlib prit la parole et lui dit : «Majesté, nous étions des gens ignorants ; nous adorions des idoles, mangions la charogne, commettions les turpitudes, rompions nos liens de parenté, étions de mauvais voisins, et le fort parmi nous spoliait le faible. Telle était notre coutume jusqu'à ce que Dieu nous envoie un Messager, issu de notre peuple, connu parmi nous pour sa lignée, sa véridicité, sa loyauté et sa vertu. Il nous a enjoint d'adorer Dieu exclusivement et de rejeter les pierres et les idoles que nous adorions ainsi que nos parents avant nous. Il nous a enjoint d'être véridiques dans notre discours, de restituer les dépôts, de soigner nos liens de parenté, de promouvoir le bon voisinage, de nous abstenir des vices et de l'effusion de sang. Il nous a interdit les turpitudes, le faux témoignage, la spoliation des biens des orphelins et la calomnie contre l'honneur des femmes chastes. Il nous a ordonné d'adorer Dieu et de ne point lui donner d'associés, d'accomplir la prière, de nous acquitter de la zakat, et de jeûner, il énuméra les enseignements de l'islam. Nous avons cru en lui et avons suivi les enseignements de Dieu qu'il nous a apportés. Nous avons adoré Dieu sans point lui donner d'associés. Nous nous sommes interdit ce qu'il nous a interdit et considéré comme licite ce qu'il a déclaré licite. Alors les gens de notre peuple s'en sont pris à nous et nous ont torturés. Ils nous ont persécutés afin que nous retournions au culte des idoles et délaissions l'adoration de Dieu, et afin que nous nous adonnions aux turpitudes d'autrefois. Face à leur domination, à leur oppression, à leurs pressions, et aux entraves qu'ils nous imposaient dans la pratique de notre religion, nous nous sommes rendus dans ton pays, te choisissant d'entre tous, désirant ton voisinage, et espérant n'être point opprimés auprès de toi... » Le Négus dit : « Possèdes-tu quelque écrit de ce qu'il a apporté de la part de Dieu dont tu puisses me faire lecture ? » Jaafar acquiesça et lui récita la sourate de Marie depuis le début jusqu'au verset trente-deux (comprenant les récits de Zacharie, de Dame Marie, de la grossesse de Jésus, et de la parole de ce dernier alors qu'il était dans le berceau)...
« Ces paroles émanent de la même source que les paroles de notre maître Jésus Christ. » Le Négus dit : « Ceci et ce que Moïse a apporté sortent d'une seule et même niche. » Il se tourna vers les deux émissaires de Quraysh et leur dit : « Partez ! Par Dieu, jamais je ne vous les livrerai. »
S'adressant aux musulmans, il dit : « Soyez en sécurité sur ma terre. Quiconque vous insulte en sera pour ses frais. Je ne préfèrerais point recevoir une montagne d'or contre le fait de nuire à l'un d'entre vous. » Puis il ordonna à son entourage : « Rendez les présents apportés par les deux émissaires, je n'en ai aucun besoin. Par Dieu, Dieu ne m'a point demandé de pot-de-vin pour me rendre mon royaume, si bien que je prendrais quelque pot-de-vin à mon tour». Les deux émissaires s'en allèrent humiliés et défaits et ramenèrent à leur peuple les présents refusés par le Négus... Soit dit en passant, Négus embrassa l'islam par la suite. Il décéda alors que le Messager de Dieu était à Médine. Ce dernier fut informé par l'Ange Jirîl de son décès ; il annonça à son tour la nouvelle aux musulmans et présida à la prière funèbre faite ad absentia en faveur du Négus et implora le pardon de Dieu pour lui...
Quelques mois à peine s'étaient écoulés depuis la révocation de l'embargo lorsque le Prophète fut surpris par l'ultime maladie de son oncle Abou Tâlib. Se rendant à son chevet, il trouva auprès de lui Abou Jahl et les notables de Quraysh qui étaient venus l'entretenir au sujet de son neveu et lui demander de les préserver de ce dernier afin qu'ils le laissent en paix à leur tour, et qu'il ne se mêle pas de leur religion à charge pour eux de ne pas se mêler de la sienne. Le Prophète leur répondit : « En vérité, il suffit d'une seule parole que vous me donniez et vous présideriez au destin des Arabes et seriez suivis par les autres nations. » Abû Jahl lui dit : « Eh bien, nous te donnerions non pas une mais dix paroles. » Le Prophète dit : «Vous attestez qu'il n'y a de divinité qu'Allâh et vous abandonnez le culte des idoles que vous adorez en dehors de Lui. » L'auditoire s'exclama : « Veux-tu, Muhammad, réduire les divinités à un dieu unique ? En voilà une idée ! »
Puis se tournant les uns vers les autres, ils constatèrent : «Vous n'obtiendrez rien de cet homme, partez donc et conservez la religion de vos parents jusqu'à ce qu'Allâh tranche entre vous et lui. » Sur ce, ils s'en allèrent et Abou Tâlib dit au Prophète : « Par Allah, mon neveu, tu ne leur as rien demandé de déraisonnable que je sache. » Voyant que son oncle était au chapitre de l'agonie, le Messager de Dieu convia son oncle à embrasser l'islam et lui demanda de dire la profession de foi. Abû Tâlib décéda après avoir été un appui indéfectible, un protecteur et un parent affectueux pour le Prophète Peu de temps après, la Dame Khadîjah décéda à son tour ; cette grande dame au sujet de laquelle Jibrîl annonça un jour au Prophète «Ô Messager d'Allah, Khadîdja est sur le point de t'apporter un récipient contenant de la nourriture. Lorsqu'elle arrivera, transmets lui le Salut de la part de Son Seigneur et de ma part et annonce lui la bonne nouvelle d'une maison en bambou dans le paradis à l'abri du moindre bruit et de la moindre fatigue».
Ainsi mourut la tendre épouse qui, par la force de sa foi, par sa délicatesse, et par son immense amour, consolait le Prophète lors des épreuves, dissipait sa douleur et sa tristesse, et le soutenait de sa personne et de sa fortune. La tristesse était double pour la perte de ces deux soutiens affectueux. Ces deux pertes douloureuses affectèrent le Prophète énormément.
Après le décès de son oncle et de son épouse, la persécution que les gens de Quraysh infligeaient au Prophète — paix et bénédictions sur lui — s'intensifia. Excédé, le Prophète se rendit incognito à la ville de Tâ'if espérant recueillir l'adhésion de la tribu de Thaqîf et leur soutien. Mais ces derniers poussèrent leurs vauriens à l'insulter et à le railler. Le Prophète leur échappa et trouva refuge dans un jardin. Peiné, il s'assit à l'ombre d'un arbre. Puis il leva les yeux vers le ciel et implora : « Ô Allâh, je me plains à Toi de la faiblesse de mon pouvoir, de la petitesse de ma ruse, du peu de considération que les gens me réservent. Ô Toi Qui es le plus Miséricordieux des miséricordieux, Tu es le Seigneur des faibles et Tu es Mon Seigneur. À qui me confies-tu ? À des gens distants qui me réservent un piètre accueil ? Ou bien à des ennemis à qui tu as donné la mainmise sur moi ? Si cela n'est pas signe de Ton courroux contre moi, alors peu me chaut. Néanmoins, Ton bienfait est certes plus à même de m'envelopper. Je cherche refuge dans la Lumière de Ta Face qui a éclairé les ténèbres et redressé le destin de ce bas monde et de l'au-delà contre le fait d'être l'objet de Ton courroux, ou de susciter Ta colère. Je te présente mes excuses jusqu'à ce que Tu sois Satisfait. Il n'y a certes aucune force ni aucune puissance en dehors de Toi».
Le Prophète retourna à la Mecque la tristesse dans le coeur après avoir demandé à Thaqîf de taire son passage chez eux afin que les Quraysh ne le raillent pas davantage. Mais Quraysh eut vent de l'affaire et redoubla de violence et de raillerie à son égard.
Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — commença alors à faire des propositions aux différentes tribus qui se rendaient en pèlerinage à la Mecque. Il les invitait à croire en Dieu exclusivement et les informait qu'il était un prophète investi d'une mission. Il leur parlait de l'islam, de ses préceptes qui faisaient la promotion de la vertu et de ce qui attendait les hommes après la mort en matière de résurrection et de jugement, débouchant ultimement sur le paradis ou sur l'enfer. Il ne se contenta pas de les rencontrer à la Mecque, il alla même à leur rencontre sur leurs terres. Il se rendit ainsi chez les tribus de Kindah, Kalb, Banû Hanîfah et Banû 'Âmir Ibn Sa'sa'ah, en vain. Son oncle 'Abd Al-Ouzzâ Ibn 'Abd Al-Muttalib — Abou Lahab le suivait partout où il allait et incitait les gens à ne pas l'écouter accusant son neveu d'être un poète, ou d'être un sorcier, entre autres accusations, ce qui ne faisait qu'ajouter à la peine du Prophète. Le Prophète était peiné par les torts que lui infligeaient ses proches, du rejet de son Message, du dédain et de la dérision que lui réservaient ceux qu'il appelait pourtant au salut et à la réussite dans les deux Demeures, feignant d'oublier qu'il ne leur réclamait aucun salaire pour lui-même, ni argent, ni prestige, ni pouvoir. À cela s'ajoutait la profonde affliction due à la perte de l'amour et de l'affection de sa défunte épouse ainsi que la perte de la protection de son défunt oncle qui l'avait élevé, pris en charge et entouré de tous les soins.
Un soir, alors qu'il dormait seul dans la mosquée, survint le miracle du Voyage Nocturne et de l'Ascension (Al-Isrâ' et Al-Mi'râj). Par cet événement, Dieu voulut l'informer de son rang élevé dans l'Assemblée Suprême (Al-Mala' Al-A'lâ). Ainsi, si les gens sur terre le démentirent et ne l'honorèrent point comme il se doit, les gens du ciel eux connaissaient sa juste valeur.
Les narrations relatives au Voyage Nocturne et à l'Ascension se multiplièrent, et les opinions divergèrent sur leurs modalités. Ces événements impliquèrent-ils le corps et l'esprit du Prophète, ou seulement son esprit, ou bien le Voyage Nocturne aurait-il impliqué le corps et l'esprit, alors que l'Ascension se serait déroulée par l'esprit uniquement. Il est cependant certain que les deux événements eurent lieu par l'esprit et le corps à la fois, car s'ils n'impliquaient que l'esprit, cela n'aurait rien de miraculeux et son peuple n'aurait aucune raison de le démentir. Par ailleurs, cette question est intimement liée à la Toute-Puissance de Dieu qui se manifeste en Sa Parole à toute chose « Sois et elle devient ». Il n'y a donc pas lieu de discuter ou de polémiquer à ce sujet. Nous choisissons de ne pas rapporter toutes les narrations s'y rapportant, et nous nous contenterons de ne citer que les récits les plus authentiques relatés dans les ouvrages de la Sirah, et les traditions compilées par les deux Imams Al-Boukhârî et Mouslim dans leurs Sahîhs. Au sujet du Voyage Nocturne, le Prophète dit : « Le plafond de ma maison s'ouvrit alors que j'étais à la Mecque. Jibrîl descendit, il ouvrit ma poitrine et la lava à l'eau de Zamzam. Puis il apporta une bassine en or, emplie de sagesse et de foi, qu'il vida dans ma poitrine, puis il la referma. Ensuite, on m'apporta le Burâq ; il s'agit d'une bête blanche élancée, entre l'âne et le mulet, qui pose son sabot à perte de vue. Je l'enfourchai et arrivai à la Mosquée de Jérusalem. Je l'attachai à l'anneau que les prophètes emploient à cet effet, puis j'entrai dans la Mosquée. ». Al-Hasan de poursuivre : « Il y trouva Abraham, Moïse et Jésus dans une assemblée de prophètes. Alors, le Messager de Dieu fut leur imam dans une prière qu'ils accomplirent en congrégation. Puis, on apporta deux récipients, l'un contenant du vin, l'autre du lait. » Il poursuivit : « Le Messager de Dieu prit celui qui contenait du lait et en but. Il laissa celui qui contenait du vin. » Il poursuivit : « Alors Jibrîl lui annonça : "Tu as été guidé vers la nature primordiale (fitrah) et ta communauté a été guidée, ô Mohamed. Le vin vous a été défendu." Puis le Messager de Dieu retourna à la Mecque. Le lendemain matin, il relata cet événement aux gens de Quraysh. La plupart des gens réagirent en disant : « En voila une histoire ! Par Dieu, les caravanes mettent un mois pour aller de la Mecque à la Syrie, et un autre mois sur le chemin du retour. Mohamed s'y rendrait-il et retournerait-il à la Mecque dans le même nuit ?! » Il dit : « De nombreuses personnes qui avaient embrassé l'islam apostasièrent à cette occasion. » Certains se rendirent chez Abou Bakr et l'interpellèrent : « Va voir ton ami ! Il est au Hijr, en train de raconter aux gens que Dieu le fit voyager hier soir jusqu'à la Mosquée Al-Aqsâ et qu'il retourna la même nuit, alors que pour ce faire nous voyageons à dos de chameau pendant un mois à l'aller et un autre mois au retour ! » Abou Bakr leur dit : « Par Dieu, s'il a dit cela, alors il dit vrai. Je le crois pour les affaires du ciel, (qui lui sont révélées) en toutes circonstances, de jour comme de nuit. Ne le croirais-je pour les affaires de la terre ? » Puis, il s'empressa d'aller voir le Prophète pendant qu'il racontait aux gens le récit du Voyage Nocturne. Il ne leur avait pas encore raconté l'Ascension. Alors Abou Bakr lui dit : « Tu dis vrai, ô Messager de Dieu ! Par Dieu, si tu nous disais que tu fis une ascension vers les ciels supérieurs, nous te croirons. » Et le Prophète de lui répondre : « En effet, j'ai voyagé vers les ciels supérieurs, et tu es, ô Abou Bakr, le très véridique (As-Siddîq). » Par ailleurs, le Prophète dit : «Je me retrouvai dans le Hijr, et les Qurayshites m'interrogeaient sur mon Voyage Nocturne. Ils me posèrent des questions sur des détails du Temple Sacré (Bayt Al-Maqdis) que je n'avais pas mémorisés. J'en éprouvai un énorme malaise comme je n'en avais jamais éprouvé auparavant. Alors Dieu l'éleva devant mes yeux et je répondis à chacune de leurs interrogations. »
Le Prophète prit soin de marier ses filles. Il maria Zaynab à Abou Al-Âs Ibn Al-Mughîrah, le neveu de Dame Khadîjah. Il maria Ruqayyah et Oum Kulthûm à ses cousins Otbah et Otaybah respectivement; ils étaient les enfants de son oncle Abou Lahab qui, après l'avènement de l'apostolat du Prophète, commanda à ses fils de répudier leurs épouses. Plus tard, Othmân Ibn Affân les épousa l'une après l'autre comme nous le verrons ultérieurement.
Fatima, quant à elle, n'était pas encore nubile. Il ne la maria qu'après l'hégire à Ali Ibn Abî Tâlib.Le Prophètevécut des jours agréables en compagnie de son épouse qui l'entourait de ses soins, de sa tendresse et de son amour, ce qui l'aida à supporter l'épreuve de la mort de ses deux enfants Al-Qâsim et Abdallah. Puis, il fut captivé par les retraites spirituelles. Il choisit pour ses retraites la grotte de Hirâ qui se situait à l'extérieur de la Mecque au-dessus du Mont Hirâ. Il s'y rendait régulièrement pour y passer quelques jours, emmenant avec lui les provisions que Dame Khadija lui préparait pour son séjour. Loin du tumulte de la Mecque et des événements qui y survenaient, il réfléchissait à l'égarement de son peuple et méditait sur la nature qui l'entourait, les montagnes, les vallées, le ciel, les planètes, les étoiles, à la recherche de la vérité et de la guidance...
Plus tard, il se mit à avoir des songes véridiques qui ne tardaient pas à se réaliser. Cette situation dura six mois, tandis que le Prophète était sur le point d'avoir ses quarante ans. Puis, au cours d'une nuit du mois de Ramadân, alors qu'il était en prière dans la grotte, il fut surpris par l'Esprit Saint qui se présenta à lui dans l'apparence d'un homme et lui ordonna: «Lis !» Le Prophète lui dit : «Je ne sais pas lire» L'ange le prit dans ses bras et le serra avec force, puis lui ordonna : «Lis !» Le Prophète lui dit: «Je ne sais pas lire» Alors, l'ange le serra vigoureusement dans ses bras avant de lui commander de nouveau : «Lis !» Le Prophète, épuisé par ces étreintes vigoureuses qui faillirent lui briser les côtes, lui répondit : « Que dois-je lire ?» L'ange lui dit : «Lis, au nom de ton Seigneur Qui a créé, Qui a créé l'homme d'une adhérence. Lis ! Ton Seigneur est le Très Noble, Qui a enseigné par la plume (le calame), Il a enseigné à l'homme ce qu'il ignorait. » Ses paroles pénétrèrent son cœur — paix et bénédictions sur lui—, l'illuminèrent et lui illuminèrent le monde entier. L'ange s'en alla, le laissant méditer sur la signification de ces paroles : Qui créa l'homme et lui enseigna ce qu'il ignorait ? Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Quel est son but ? Pourquoi lui ? L'inquiétude infiltra son esprit et se transforma en forte anxiété. Il se dépêcha de quitter la grotte apeuré et effrayé. Et voici qu'une voix venue du ciel l'interpella : «Ô Mohamed, tu es le Messager de Dieu et je suis Jibrîl (Gabriel). » Il leva les yeux au ciel et revit l'ange qui s'était présenté à lui dans la grotte dans l'apparence d'un homme. Dans quelque direction qu'il dirigeait son regard, il le voyait devant lui emplissant le ciel, ce qui accentua sa peur.
Il entra chez Dame Khadija tremblant de tout son corps en disant : « Couvrez-moi... Couvrez-moi... » Elle l'enveloppa d'une couverture et le serra contre elle avec tendresse et compassion. Puis, elle s'assit à ses côtés, l'observant avec affection et espoir. Il tremblait de tout son corps pris dans une sueur abondante. Puis il se leva récitant ce que Jibrîl lui inspirait : «Ô, toi ! Le revêtu d'un manteau ! Lève-toi et avertis. Et de ton Seigneur, célèbre la grandeur. Et tes vêtements, purifie-les. Et de tout péché, écarte-toi. Et ne donne pas dans le but de recevoir davantage. Et pour ton Seigneur, endure» Sa compassion pour son époux redoubla jusqu'à ce qu'il lui eut raconté ce qui venait de lui arriver. Puis, il lui dit : «J'ai eu peur pour ma vie» Khadîjah lui dit : « À Dieu ne plaise ! Par Allah, Allah ne t'humiliera jamais. Tu honores tes liens de parenté. Tu soutiens le faible. Tu fais don au démuni. Tu fais preuve d'hospitalité envers tes hôtes. Et tu apportes ton soutien dans les véritables épreuves. » Ayant dit cela, Khadija emmena son époux chez son cousin Waraqah Ibn Nawfal Ibn Asad Ibn Abd Al-Ouzzâ. Ce dernier s'était converti au christianisme du temps de la jâhiliyyah et écrivait des livres dans la langue hébraïque; il écrivait des pans de l'évangile en hébreu, autant que Dieu lui assignait d'écrire.
Lorsque le Prophète reçut le commandement divin de transmettre le Message à ses proches, il invita ses oncles à manger chez lui. Après le repas, il leur parla de l'islam et de la foi au Dieu Unique. Mais, ils ne lui prêtèrent qu'une oreille distraite, pensant qu'il plaisantait. Puis, il les invita de nouveau et leur parla de l'islam et leur annonça qu'il était le Prophète tant attendu. De même, personne n'accepta son appel et son oncle Abû Lahab rentra dans une colère noire, au point d'ordonner à ses fils Outbah et Outaybah de répudier les filles du Messager de Dieu, Ruqayyah et Oum Koulthoum, ce qu'ils firent.
Sur ce, le Prophète n'avait d'autre choix que de prêcher son Message publiquement, obéissant en cela à l'injonction divine : «Expose donc clairement ce qu'on t'a commandé et détourne-toi des associateurs». Du haut de la colline d'As-Safâ, il interpella les Quraysh : «Ô gens de Quraysh ! » Les gens se rassemblèrent. Il leur demanda : «Si je vous disais qu'une cavalerie est en train de traverser la vallée pour vous livrer bataille, me croiriez-vous ? » Il acquiescèrent disant : «Oui, tu as toujours été véridique avec nous. » Il poursuivit : « Alors sachez que j'ai été envoyé pour vous avertir de l'imminence d'un châtiment sévère. » Abou Lahab s'exclama : « Est-ce pour cela que tu nous as rassemblé ? Puisses-tu périr!» Cette prise de position surprenante choqua le Prophète qui pensait que son oncle le croirait et le soutiendrait. Il était en effet l'une des personnes les plus proches de lui et, à ce tite, il connaissait parfaitement son origine, sa lignée et sa véridicité. C'est pourquoi Jibrîl — paix sur lui — apporta la Parole de Dieu : «Que périssent les deux mains d'Abou-Lahab et que lui-même périsse. Sa fortune ne lui sert à rien, ni ce qu'il a acquis. § Il sera brûlé dans un Feu flamboyant». La scène s'arrêta là.
Cependant, le Message est passé et certaines personnes commencèrent à réfléchir et à comparer leur lot d'égarement caractérisé par l'adoration de pierres incapables de leur profiter ou de leur nuire, d'une part, et l'appel visant à la vocation exclusive de l'adoration au Dieu Unique Qui détient tous les pouvoirs, et dont ils admettaient l'existence et le fait qu'Il soit le Créateur de tout ce qui existe. De plus, cet appel leur enjoignait des valeurs nobles telles que : l'entretien des liens de parenté, la véridicité, la restitution des dépôts, la bonté envers les parents, honorer ses promesses, être attentif aux droits du voisinage, tout en leur interdisant les mauvaises manières telles que le mensonge, la fornication, le vol, l'ingratitude envers les mères et l'assassinat des petites filles qu'on avait coutume d'inhumer vivantes...
D'où l'empressement des gens dotés d'une raison clairvoyante, et d'une nature saine, à embrasser l'islam. Ceci ne manqua pas de susciter la colère des Quraysh et leur peur pour leur pouvoir et leurs intérêts commerciaux. En effet, l'islam proclamait notamment l'égalité des droits et des devoirs, que les esclaves avaient les mêmes droits que les maîtres, que tout le monde descendait d'Adam et qu'Adam n'était que poussière... Cet appel poussa de nombreux esclaves, hommes et femmes, à embrasser l'islam et de le dire haut et fort. Cette vague de rébellion et d'insoumission commença à se répandre, non seulement parmi les jeunes générations qui embrassèrent l'islam sans le consentement de leurs parents restés fidèles à leur mécréance, mais aussi dans les rangs des esclaves, des deux sexes, qui goûtaient à la liberté pour la première fois et au principe selon lequel tous les êtres humains étaient des serviteurs d'un Dieu Unique.
Les notables de Quraysh se réunirent pour discuter de ce danger imminent qui menaçait à la fois leurs croyances, leurs intérêts et leur pouvoir. Ils devaient décider de la manière de lui barrer le chemin avant qu'il ne prenne des proportions inquiétantes. Ils décidèrent de lutter contre le Prophète — paix et bénédictions sur lui — par la propagande, de manière à le rabaisser et à mettre en doute son statut de Prophète. Ils louèrent les services de quelques poètes qui se chargèrent de le dénigrer, de l'insulter et de railler son message. Mais un groupe de poètes convertis à l'islam se chargèrent de leur répondre. Puis, les chefs de Quraysh firent courir la rumeur qu'il était un devin et qu'il n'allait pas tarder à disparaître comme bien d'autres devins avant lui.
D'autres l'accusèrent de sorcellerie et d'autres enfin dirent qu'il avait été touché par un jinn et que ses adeptes n'allaient pas tarder à revenir à la religion de leurs ancêtres. Puis, ils commencèrent à lui demander d'accomplir des miracles, à l'instar de Moïse et de Jésus. Ainsi exigeait-on de lui de transformer les collines d'As-Safâ et d'Al-Marwah en or, ou de faire jaillir une source, ou de faire descendre du ciel un livre qu'ils puissent voir. D'autres poussèrent la moquerie jusqu'à lui demander le prix des marchandises dans l'avenir afin qu'ils puissent spéculer sur elles ! Tout cela avait cours alors qu'ils adoraient des idoles de pierre ou de bois, qui ne pouvaient leur apporter le moindre bien ni leur infliger le moindre mal, tout en prétendant qu'elles les rapprochaient de Dieu. Il était alors tout à fait naturel que les versets de la révélation critiquent leurs actes et exigent de leur part d'apporter la preuve de la prétendue divinité des idoles qui sont absolument incapables de parler, de voir ou d'ouïr.
Estimant que cela constituait une insulte à leurs divinités, une atteinte au respect qui leur était dû, et une raillerie de la religion de leurs ancêtres, les polythéistes commencèrent à réfléchir sérieusement aux options qu'ils avaient face à cet homme qui s'attirait de plus en plus de fidèles parmi les gens empreints de droiture et de dignité, que ce soit parmi les commerçants et les notables de la Mecque, ou dans les rangs des faibles et des déshérités, tous sexes et tous âges confondus. Ils se demandèrent : Quelle serait la situation si cet homme réussissait à convertir les Mecquois et à les détourner du culte des idoles ? La Mecque ne perdrait-elle pas son rang de capitale religieuse ? Son commerce ne stagnerait-il pas ? Les gens ne cesseraient-ils pas d'offrir des offrandes aux idoles ? Ne se détourneraient-ils pas de leurs assemblées libertines ? Par conséquent, les notables constituèrent une délégation et allèrent se plaindre à son oncle, Abou Tâlib, qui n'avait pas embrassé l'islam, et lui demandèrent de faire en sorte que son neveu cesse d'insulter leurs divinités et qu'il arrête de prêcher son Message et de se prétendre prophète. Ils se rendirent donc auprès d'Abou Tâlib et lui dirent : « Ton neveu a insulté nos idoles, méprisé notre religion, dénigré nos rêves et jugé que nos ancêtres étaient dans l'égarement. Soit tu mets fin à ses offenses, soit tu ne t'interposes plus entre nous et lui. » Abû Tâlib les écouta avec patience et les renvoya avec élégance.
Le Prophète continua à prêcher son message sans se fatiguer ni se lasser. Il donnait à ses adeptes un bel exemple de bonté, de miséricorde et de modestie. Il manifestait de l'affection, de l'aménité et de l'amitié envers les faibles et les indigents. La nuit, il se tenait longuement en prière récitant le Coran qui lui était révélé, et s'adressait à Dieu exclusivement L'invoquant et Le louant, ce qui augmenta la foi et la certitude de ses adeptes et renforça leur adhésion et leur intérêt pour leur religion. Les chefs de la Mecque retournèrent voir Abou Tâlib et lui dirent : « Ô Abou Tâlib. Nous te respectons pour ton âge, ta noblesse et ton rang parmi nous. Mais nous t'avons déjà demandé de contenir ton neveu et de nous en préserver. Soit tu le contiens, soit nous vous mettrons au défi tous les deux jusqu'à ce que l'un des deux camps ait raison de l'autre». Cette histoire pesait beaucoup à Abou Tâlib car, d'une part, il n'approuvait pas ce que faisait son neveu, et, d'autre part, il ne pouvait pas le laisser pour compte. Que pouvait-il faire alors ?
Abou Tâlib demanda au Prophète de venir et lui cita les propos des chefs de la Mecque, puis il lui dit : «Préserve moi et préserve toi, et n'exige pas de ma part plus que ce que je ne puis supporter. » Le Prophète répondit : «Par Allah, s'ils mettaient le soleil dans ma dextre, et la lune dans ma sinistre, en échange de mon abandon de cette affaire, jamais je n'y consentirais jusqu'à ce qu'Allah la fasse éclater au grand jour ou que je périsse sans cela. » Voyant l'attachement de son neveu à sa religion, et qu'il y tenait plus qu'à la vie, et constatant son désintéressement de la fortune de ce bas-monde, Abou Tâlib lui dit : «Va mon neveu, et dis ce qu'il te plaît. Jamais je ne t'abandonnerai à un sort que tu détestes». Ensuite, Abou Tâlib convoqua les Banou Hachim et les Banou Al-Muttalib et les informa de la position des chefs de la Mecque et de la décision de son neveu, et leur demanda de protéger ce dernier, ce qu'ils acceptèrent de faire sauf Abû Lahab qui rallia le camp adverse et s'associa à leurs hostilités envers le Prophète.
Le Prophète trouva en son clan un refuge contre les hostilités de Quraysh. L'affection de Dame Khadîjah, son grand amour pour lui et sa foi en lui étaient un soulagement de la misère due à la dénégation de son message par son peuple.
À cette époque, Omar Ibn Al-Khattâb était un jeune homme vigoureux, dans la force de l'âge. Il avait alors entre trente et trente cinq ans. Fort, au caractère tranchant, il était de nature à verser rapidement dans la colère et se montrait distant à l'égard de l'Islam et des musulmans. À l'opposé, il manifestait bienfaisance et tendresse envers ses proches. Cela étant, il fut ennuyé par l'émigration d'un certain nombre de musulmans vers l'Abyssinie et la protection que Négus leur accordait. Chagriné par leur départ, il lui pesait de les voir quitter leur terre et leurs proches.
Un jour, alors que le Prophète était réuni avec ses compagnons dans quelque demeure, Omar apprit cela et sortit de chez lui, brandissant son épée, porté par la colère et l'ardeur de l'Ignorance. Sur son chemin, il croisa un homme de sa tribu, du nom de Nu'aym Ibn An-Nahâm, qui avait embrassé l'Islam secrètement. Ce dernier s'enquit : « Où vas-tu, Oar ? » Il rétorqua : « Je veux voir Mohamed, celui qui a divisé Quraysh, s'est moqué de ses idéaux, a critiqué sa religion et a injurié ses divinités, pour le tuer. » Nouaym lui répondit : « Par Allah, Omar, tu es tombé sur la tête... Penses-tu que le clan des Banû 'Abd Manâf t'épargnera si jamais tu tues Mohamed ?! Ne retournerais-tu pas plutôt chez toi pour redresser les tiens ? » Et Omar de s'exclamer : « Les miens ? Qu'ont-ils ? » Nouaym dit : «Ta sœur, Fatima Bint Al-Khattâb et son époux, Said Ibn Zayd Ibn Amr ton cousin, par Dieu, tous deux ont embrassé l'Islam et suivi Mohamed dans sa religion. Occupe-toi d'eux plutôt... »
Omar rebroussa chemin et se dirigea vers la maison de sa sœur qui, en compagnie de son époux, recevait Khabbâb Ibn Al-Aratt qui leur faisait réciter la sourate Taha à partir d'un parchemin. Lorsque Omar s'approcha de la maison et qu'ils sentirent sa présence, Khabbâb se trouva une cachette et Fatima s'empressa de cacher le parchemin. Omar entra et, sur un ton inquisiteur, questionna : « Qu'étaient ces murmures que j'ai entendus ? » Elle lui dit que ce n'était rien. Mais Omar insista : « Si ! Par Allah, j'ai appris que vous aviez suivi Muhammad dans sa religion ! » Il s'en prit alors à son cousin Said, mais Fatima s'interposa entre lui et son époux. Omar lui porta un coup qui fit couler le sang de son visage. C'est alors que les deux époux se révoltèrent en avouant : « Oui, nous avons embrassé l'Islam et nous croyons en Dieu et en Son Messager. Agis donc comme bon te semble ! » À la vue du sang de sa sœur, Omar, confus, fut saisi de regret et lui demanda avec douceur : « Donne-moi ce parchemin que vous lisiez, que je vois ce que Muhammad prêche... » Elle lui dit : « Mais nous craignions que tu l'abîmes. » Il jura de le lui rendre. Elle lui dit qu'il était toujours païen et que seuls les gens purifiés étaient en droit de toucher ce parchemin. Omar prit un bain et saisit le parchemin que lui tendit sa sœur.
Il lut le début de la sourate Taha et dit : « Que ces paroles sont belles et nobles ! » Entendant cela, Khabbâb sortit de sa cachette et lui dit : « Par Allah, je souhaite qu'Allah te choisisse pour soutenir le message de Son Prophète, car hier je l'entendis dire : «Ô Allah ! Renforce l'Islam par Abu Al-Hakam Ibn Hishâm ou Omar Ibn Al-Khattâb.» Omar ! Tu t'exposes là à un bienfait immense. » `Umar répondit à Khabbâb : « Dis-moi où trouver Muhammad, afin que j'aille embrasser l'Islam auprès de lui. »
Khabbâb lui indiqua le chemin et Omar pressa son pas, avec un cœur attendri et apaisé, subjugué par la magnificence suprême des versets qu'ils avaient lus, la noblesse du sens qu'ils véhiculent et la grandeur de leur message. Il frappa à la porte de la maison où se trouvait le Prophète. Un homme regarda au travers d'une fente dans la porte et annonça effrayé : «Ô Messager d'Allah, c'est Omar, brandissant son épée ». Hamzah Ibn `Abd Al-Muttalib dit : « S'il est venu à la recherche de quelque bien, nous le lui octroierons volontiers. Mais s'il nous veut du mal, c'est avec son épée que nous le tuerons».
Avec la permission du Prophète, Omar entra et annonça sa conversion à l'Islam. Alors le Prophète et ceux qui étaient en sa compagnie s'écrièrent avec joie « Allâhu Akbar ! ». Omar sortit et rendit sa conversion publique. Il refusa que les musulmans pratiquent secrètement leur religion ou qu'ils se rendent dans les maquis de la Mecque pour accomplir la prière, loin de la persécution infligée par Quraysh. Il s'attela ainsi à la lutte contre Quraysh, si bien qu'il accomplit la prière ouvertement près de la Kaabah et les musulmans purent enfin se joindre à lui.
Constatant la recrudescence des actes de persécution que les Quraysh infligeaient aux musulmans et la multiplication des sévices cruels visant à les détourner de leur religion, le Prophète recommanda à ses disciples d'immigrer en Abyssinie. Cette dernière était en effet une terre de véridicité gouvernée par un roi juste et l'on pouvait espérer qu'Allah les y délivrerait de ce qu'ils avaient enduré jusque-là.
Ainsi un groupe constitué de onze hommes et de quatre femmes partirent secrètement pour l'Abyssinie et jouirent de la paix pendant quelque temps auprès du Négus, le roi chrétien d'Abyssinie. Puis, ils reçurent des échos laissant entendre que les musulmans vivaient désormais en toute tranquillité à la Mecque et décidèrent d'y retourner. Lorsqu'ils s'aperçurent que la vérité était toute autre, ils retournèrent en Abyssinie. Cette fois-ci, ils étaient quatre-vingts hommes ; certains d'entre eux emmenèrent femmes et enfants. Ils demeurèrent en Abyssinie jusqu'à l'immigration du Prophète à Médine où ils le rejoignirent.
Le départ de ce groupe ne manqua pas de susciter la colère des chefs Mecquois qui n'acceptaient pas de voir ces gens échapper à leur pouvoir et à leur emprise. Ils envoyèrent Amr Ibn Al-Âs et Abdallah Ibn Abî Rabî'ah avec de riches présents pour le Négus. Lorsque ce dernier les reçut et accepta leurs présents, ils lui dirent : « Majesté, un groupe de jeunes vauriens d'entre nous se sont réfugiés dans ton pays. Ils ont abandonné la religion de leur peuple et n'ont pas pour autant embrassé ta religion. Ils ont inventé une religion méconnue de nous et de toi. Les notables de leur peuple, à savoir leurs pères, leurs oncles, et leurs clans, nous ont missionnés auprès de toi afin de les récupérer et ils savent mieux que quiconque leurs travers et ce qu'ils ont à leur reprocher. »
Le Négus refusa de prendre une décision avant d'avoir entendu ce que les musulmans avaient à répondre. Il les fit venir et leur demanda : « Quelle est donc cette religion pour laquelle vous avez quitté votre peuple, sans pour autant embrasser ma religion ni l'une des religions de ce pays ? » Jaafar Ibn Abî Tâlib prit la parole et lui dit : «Majesté, nous étions des gens ignorants ; nous adorions des idoles, mangions la charogne, commettions les turpitudes, rompions nos liens de parenté, étions de mauvais voisins, et le fort parmi nous spoliait le faible. Telle était notre coutume jusqu'à ce que Dieu nous envoie un Messager, issu de notre peuple, connu parmi nous pour sa lignée, sa véridicité, sa loyauté et sa vertu. Il nous a enjoint d'adorer Dieu exclusivement et de rejeter les pierres et les idoles que nous adorions ainsi que nos parents avant nous. Il nous a enjoint d'être véridiques dans notre discours, de restituer les dépôts, de soigner nos liens de parenté, de promouvoir le bon voisinage, de nous abstenir des vices et de l'effusion de sang. Il nous a interdit les turpitudes, le faux témoignage, la spoliation des biens des orphelins et la calomnie contre l'honneur des femmes chastes. Il nous a ordonné d'adorer Dieu et de ne point lui donner d'associés, d'accomplir la prière, de nous acquitter de la zakat, et de jeûner, il énuméra les enseignements de l'islam. Nous avons cru en lui et avons suivi les enseignements de Dieu qu'il nous a apportés. Nous avons adoré Dieu sans point lui donner d'associés. Nous nous sommes interdit ce qu'il nous a interdit et considéré comme licite ce qu'il a déclaré licite. Alors les gens de notre peuple s'en sont pris à nous et nous ont torturés. Ils nous ont persécutés afin que nous retournions au culte des idoles et délaissions l'adoration de Dieu, et afin que nous nous adonnions aux turpitudes d'autrefois. Face à leur domination, à leur oppression, à leurs pressions, et aux entraves qu'ils nous imposaient dans la pratique de notre religion, nous nous sommes rendus dans ton pays, te choisissant d'entre tous, désirant ton voisinage, et espérant n'être point opprimés auprès de toi... » Le Négus dit : « Possèdes-tu quelque écrit de ce qu'il a apporté de la part de Dieu dont tu puisses me faire lecture ? » Jaafar acquiesça et lui récita la sourate de Marie depuis le début jusqu'au verset trente-deux (comprenant les récits de Zacharie, de Dame Marie, de la grossesse de Jésus, et de la parole de ce dernier alors qu'il était dans le berceau)...
« Ces paroles émanent de la même source que les paroles de notre maître Jésus Christ. » Le Négus dit : « Ceci et ce que Moïse a apporté sortent d'une seule et même niche. » Il se tourna vers les deux émissaires de Quraysh et leur dit : « Partez ! Par Dieu, jamais je ne vous les livrerai. »
S'adressant aux musulmans, il dit : « Soyez en sécurité sur ma terre. Quiconque vous insulte en sera pour ses frais. Je ne préfèrerais point recevoir une montagne d'or contre le fait de nuire à l'un d'entre vous. » Puis il ordonna à son entourage : « Rendez les présents apportés par les deux émissaires, je n'en ai aucun besoin. Par Dieu, Dieu ne m'a point demandé de pot-de-vin pour me rendre mon royaume, si bien que je prendrais quelque pot-de-vin à mon tour». Les deux émissaires s'en allèrent humiliés et défaits et ramenèrent à leur peuple les présents refusés par le Négus... Soit dit en passant, Négus embrassa l'islam par la suite. Il décéda alors que le Messager de Dieu était à Médine. Ce dernier fut informé par l'Ange Jirîl de son décès ; il annonça à son tour la nouvelle aux musulmans et présida à la prière funèbre faite ad absentia en faveur du Négus et implora le pardon de Dieu pour lui...
Quelques mois à peine s'étaient écoulés depuis la révocation de l'embargo lorsque le Prophète fut surpris par l'ultime maladie de son oncle Abou Tâlib. Se rendant à son chevet, il trouva auprès de lui Abou Jahl et les notables de Quraysh qui étaient venus l'entretenir au sujet de son neveu et lui demander de les préserver de ce dernier afin qu'ils le laissent en paix à leur tour, et qu'il ne se mêle pas de leur religion à charge pour eux de ne pas se mêler de la sienne. Le Prophète leur répondit : « En vérité, il suffit d'une seule parole que vous me donniez et vous présideriez au destin des Arabes et seriez suivis par les autres nations. » Abû Jahl lui dit : « Eh bien, nous te donnerions non pas une mais dix paroles. » Le Prophète dit : «Vous attestez qu'il n'y a de divinité qu'Allâh et vous abandonnez le culte des idoles que vous adorez en dehors de Lui. » L'auditoire s'exclama : « Veux-tu, Muhammad, réduire les divinités à un dieu unique ? En voilà une idée ! »
Puis se tournant les uns vers les autres, ils constatèrent : «Vous n'obtiendrez rien de cet homme, partez donc et conservez la religion de vos parents jusqu'à ce qu'Allâh tranche entre vous et lui. » Sur ce, ils s'en allèrent et Abou Tâlib dit au Prophète : « Par Allah, mon neveu, tu ne leur as rien demandé de déraisonnable que je sache. » Voyant que son oncle était au chapitre de l'agonie, le Messager de Dieu convia son oncle à embrasser l'islam et lui demanda de dire la profession de foi. Abû Tâlib décéda après avoir été un appui indéfectible, un protecteur et un parent affectueux pour le Prophète Peu de temps après, la Dame Khadîjah décéda à son tour ; cette grande dame au sujet de laquelle Jibrîl annonça un jour au Prophète «Ô Messager d'Allah, Khadîdja est sur le point de t'apporter un récipient contenant de la nourriture. Lorsqu'elle arrivera, transmets lui le Salut de la part de Son Seigneur et de ma part et annonce lui la bonne nouvelle d'une maison en bambou dans le paradis à l'abri du moindre bruit et de la moindre fatigue».
Ainsi mourut la tendre épouse qui, par la force de sa foi, par sa délicatesse, et par son immense amour, consolait le Prophète lors des épreuves, dissipait sa douleur et sa tristesse, et le soutenait de sa personne et de sa fortune. La tristesse était double pour la perte de ces deux soutiens affectueux. Ces deux pertes douloureuses affectèrent le Prophète énormément.
Après le décès de son oncle et de son épouse, la persécution que les gens de Quraysh infligeaient au Prophète — paix et bénédictions sur lui — s'intensifia. Excédé, le Prophète se rendit incognito à la ville de Tâ'if espérant recueillir l'adhésion de la tribu de Thaqîf et leur soutien. Mais ces derniers poussèrent leurs vauriens à l'insulter et à le railler. Le Prophète leur échappa et trouva refuge dans un jardin. Peiné, il s'assit à l'ombre d'un arbre. Puis il leva les yeux vers le ciel et implora : « Ô Allâh, je me plains à Toi de la faiblesse de mon pouvoir, de la petitesse de ma ruse, du peu de considération que les gens me réservent. Ô Toi Qui es le plus Miséricordieux des miséricordieux, Tu es le Seigneur des faibles et Tu es Mon Seigneur. À qui me confies-tu ? À des gens distants qui me réservent un piètre accueil ? Ou bien à des ennemis à qui tu as donné la mainmise sur moi ? Si cela n'est pas signe de Ton courroux contre moi, alors peu me chaut. Néanmoins, Ton bienfait est certes plus à même de m'envelopper. Je cherche refuge dans la Lumière de Ta Face qui a éclairé les ténèbres et redressé le destin de ce bas monde et de l'au-delà contre le fait d'être l'objet de Ton courroux, ou de susciter Ta colère. Je te présente mes excuses jusqu'à ce que Tu sois Satisfait. Il n'y a certes aucune force ni aucune puissance en dehors de Toi».
Le Prophète retourna à la Mecque la tristesse dans le coeur après avoir demandé à Thaqîf de taire son passage chez eux afin que les Quraysh ne le raillent pas davantage. Mais Quraysh eut vent de l'affaire et redoubla de violence et de raillerie à son égard.
Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — commença alors à faire des propositions aux différentes tribus qui se rendaient en pèlerinage à la Mecque. Il les invitait à croire en Dieu exclusivement et les informait qu'il était un prophète investi d'une mission. Il leur parlait de l'islam, de ses préceptes qui faisaient la promotion de la vertu et de ce qui attendait les hommes après la mort en matière de résurrection et de jugement, débouchant ultimement sur le paradis ou sur l'enfer. Il ne se contenta pas de les rencontrer à la Mecque, il alla même à leur rencontre sur leurs terres. Il se rendit ainsi chez les tribus de Kindah, Kalb, Banû Hanîfah et Banû 'Âmir Ibn Sa'sa'ah, en vain. Son oncle 'Abd Al-Ouzzâ Ibn 'Abd Al-Muttalib — Abou Lahab le suivait partout où il allait et incitait les gens à ne pas l'écouter accusant son neveu d'être un poète, ou d'être un sorcier, entre autres accusations, ce qui ne faisait qu'ajouter à la peine du Prophète. Le Prophète était peiné par les torts que lui infligeaient ses proches, du rejet de son Message, du dédain et de la dérision que lui réservaient ceux qu'il appelait pourtant au salut et à la réussite dans les deux Demeures, feignant d'oublier qu'il ne leur réclamait aucun salaire pour lui-même, ni argent, ni prestige, ni pouvoir. À cela s'ajoutait la profonde affliction due à la perte de l'amour et de l'affection de sa défunte épouse ainsi que la perte de la protection de son défunt oncle qui l'avait élevé, pris en charge et entouré de tous les soins.
Un soir, alors qu'il dormait seul dans la mosquée, survint le miracle du Voyage Nocturne et de l'Ascension (Al-Isrâ' et Al-Mi'râj). Par cet événement, Dieu voulut l'informer de son rang élevé dans l'Assemblée Suprême (Al-Mala' Al-A'lâ). Ainsi, si les gens sur terre le démentirent et ne l'honorèrent point comme il se doit, les gens du ciel eux connaissaient sa juste valeur.
Les narrations relatives au Voyage Nocturne et à l'Ascension se multiplièrent, et les opinions divergèrent sur leurs modalités. Ces événements impliquèrent-ils le corps et l'esprit du Prophète, ou seulement son esprit, ou bien le Voyage Nocturne aurait-il impliqué le corps et l'esprit, alors que l'Ascension se serait déroulée par l'esprit uniquement. Il est cependant certain que les deux événements eurent lieu par l'esprit et le corps à la fois, car s'ils n'impliquaient que l'esprit, cela n'aurait rien de miraculeux et son peuple n'aurait aucune raison de le démentir. Par ailleurs, cette question est intimement liée à la Toute-Puissance de Dieu qui se manifeste en Sa Parole à toute chose « Sois et elle devient ». Il n'y a donc pas lieu de discuter ou de polémiquer à ce sujet. Nous choisissons de ne pas rapporter toutes les narrations s'y rapportant, et nous nous contenterons de ne citer que les récits les plus authentiques relatés dans les ouvrages de la Sirah, et les traditions compilées par les deux Imams Al-Boukhârî et Mouslim dans leurs Sahîhs. Au sujet du Voyage Nocturne, le Prophète dit : « Le plafond de ma maison s'ouvrit alors que j'étais à la Mecque. Jibrîl descendit, il ouvrit ma poitrine et la lava à l'eau de Zamzam. Puis il apporta une bassine en or, emplie de sagesse et de foi, qu'il vida dans ma poitrine, puis il la referma. Ensuite, on m'apporta le Burâq ; il s'agit d'une bête blanche élancée, entre l'âne et le mulet, qui pose son sabot à perte de vue. Je l'enfourchai et arrivai à la Mosquée de Jérusalem. Je l'attachai à l'anneau que les prophètes emploient à cet effet, puis j'entrai dans la Mosquée. ». Al-Hasan de poursuivre : « Il y trouva Abraham, Moïse et Jésus dans une assemblée de prophètes. Alors, le Messager de Dieu fut leur imam dans une prière qu'ils accomplirent en congrégation. Puis, on apporta deux récipients, l'un contenant du vin, l'autre du lait. » Il poursuivit : « Le Messager de Dieu prit celui qui contenait du lait et en but. Il laissa celui qui contenait du vin. » Il poursuivit : « Alors Jibrîl lui annonça : "Tu as été guidé vers la nature primordiale (fitrah) et ta communauté a été guidée, ô Mohamed. Le vin vous a été défendu." Puis le Messager de Dieu retourna à la Mecque. Le lendemain matin, il relata cet événement aux gens de Quraysh. La plupart des gens réagirent en disant : « En voila une histoire ! Par Dieu, les caravanes mettent un mois pour aller de la Mecque à la Syrie, et un autre mois sur le chemin du retour. Mohamed s'y rendrait-il et retournerait-il à la Mecque dans le même nuit ?! » Il dit : « De nombreuses personnes qui avaient embrassé l'islam apostasièrent à cette occasion. » Certains se rendirent chez Abou Bakr et l'interpellèrent : « Va voir ton ami ! Il est au Hijr, en train de raconter aux gens que Dieu le fit voyager hier soir jusqu'à la Mosquée Al-Aqsâ et qu'il retourna la même nuit, alors que pour ce faire nous voyageons à dos de chameau pendant un mois à l'aller et un autre mois au retour ! » Abou Bakr leur dit : « Par Dieu, s'il a dit cela, alors il dit vrai. Je le crois pour les affaires du ciel, (qui lui sont révélées) en toutes circonstances, de jour comme de nuit. Ne le croirais-je pour les affaires de la terre ? » Puis, il s'empressa d'aller voir le Prophète pendant qu'il racontait aux gens le récit du Voyage Nocturne. Il ne leur avait pas encore raconté l'Ascension. Alors Abou Bakr lui dit : « Tu dis vrai, ô Messager de Dieu ! Par Dieu, si tu nous disais que tu fis une ascension vers les ciels supérieurs, nous te croirons. » Et le Prophète de lui répondre : « En effet, j'ai voyagé vers les ciels supérieurs, et tu es, ô Abou Bakr, le très véridique (As-Siddîq). » Par ailleurs, le Prophète dit : «Je me retrouvai dans le Hijr, et les Qurayshites m'interrogeaient sur mon Voyage Nocturne. Ils me posèrent des questions sur des détails du Temple Sacré (Bayt Al-Maqdis) que je n'avais pas mémorisés. J'en éprouvai un énorme malaise comme je n'en avais jamais éprouvé auparavant. Alors Dieu l'éleva devant mes yeux et je répondis à chacune de leurs interrogations. »